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Paco Mateo, les conditions complexes de la guerre
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L’unanimité dans l’Hexagone

Ainsi, il permet à ces hommes en mal de repères d’avoir une chance de vivre dans de meilleures conditions. Et le mode « donnant-donnant » va fonctionner… Mais bientôt, une autre guerre va éclater – en 1939 –, et la France va connaître les pires heures de son histoire. Ce qui, obligatoirement, va entraîner changements puis bouleversements profonds dans la gestion sportive des fédérations et des compétitions. Plus grave, des hommes et des footballeurs vont partir sur le front, sur les fronts, et y laisser leurs vies, leurs membres, leur liberté, leurs carrières ou plusieurs années de football, même si cela paraît bien plus léger comme sujet. Ce sera notamment le cas de René Gallice (jeune et milieu de terrain d’avenir, et élément majeur du dispositif) qui, après la capitulation de la France, le 22 juin 1940, s’engagera dans les Forces Françaises Libres (F.F.L.). La prometteuse association Mateo-Gallice n’aura donc pas le temps de s’exprimer comme attendu, sur les terrains des Chartrons et de Lescure (dernièrement inaugurés), ni sur ceux du territoire national. Mais l’Espagnol, comme tous les siens, et comme les autres ressortissants étrangers, va être soumis aux « quotas ». Un mot qui fait peur, dans cette Europe fascisante, mais qui a son importance en termes de jeu, puisque la réglementation en la matière va devenir très stricte : deux étrangers, pas plus, sur la feuille de match ! Le cours du championnat de France de première division est modifié ; les Girondins, dans le Groupe B de la Division Interrégionale, prennent part à une compétition découpée en zones géographiques. Avec des contrats professionnels résiliés, des joueurs manquants et ces frustrants quotas, le coach doit donc choisir en fonction de critères inhabituels pour aligner son onze. Mais Paco est un garçon qui possède des arguments techniques nettement au-dessus de la moyenne, ce qui en fait un titulaire indispensable. Sur le terrain, justement, le longiligne attaquant commence à faire étalage de son soyeux toucher de balle, et Bordeaux remporte la finale du Groupe Sud, face à l’O.G.C. Nice (3-0), à Sète. Il n’y aura pas de champion national et, au mois de juin 1940, les blindés du IIIe Reich entreront dans Paris… Mateo a réussi à sortir d’une guerre, mais est entré dans une autre ; comme débuts, il y a mieux ! Néanmoins, il conserve sa faculté à bien jouer et à bien faire jouer les autres. En plus d’un bonheur communicatif, sur et en dehors du terrain, qu’il sait transmettre à ses coéquipiers et aux différents publics qui le découvrent : le sien, et ceux des adversaires ! Car l’homme, autant que l’artiste, va bientôt faire l’unanimité dans le microcosme du football hexagonal. Pourquoi ? Parce qu’il fait rêver les foules, qui lui témoignent en retour une réelle admiration. Au point de voir la presse et les médias s’emparer du phénomène. On scrute et on dissèque ses faits et gestes, et on le couvre de louanges. Rapidement, les commentaires sont unanimes et dithyrambiques.

Le meilleur d’Europe

Ses coups d’éclat alimentent le quotidien. Ultra doué, buteur, passeur, le brillant manieur de ballon est considéré comme « fantasque », car il fait… le show ! Doté d’un sens inouï du spectacle, ce jongleur de convenances régale la plèbe et la chique ! Car il est capable d’allier les deux, sans que son rendement de sportif de très haut niveau n’en soit altéré... La guerre, pour ceux qui la subissent de plein fouet, dans cette France occupée, n’est évidemment pas, par définition, propice à distraction. Par conséquent, ceux qui ont l’occasion de voir à l’œuvre l’Ibère, profitent de la chance offerte... Frasques, numéros de soliste, de virtuose ou amusement à la demande : la panoplie de l’amuseur public est complète ! Les spectateurs s’enthousiasment et se délectent des facéties de l’idole. La légende du « clown » en crampon est en marche ! Mais attention, qu’on ne s’y méprenne pas : l’attraction Mateo est forte, très forte, mais d’abord dans ce qui reste son métier : le football ! Celui-ci est qualifié « de rêve » par les professionnels de l’analyse, lesquels n’hésitent pas à affirmer qu’il est par ailleurs le meilleur joueur d’Europe à son poste. Ce qui est vraisemblablement le cas. Aux côtés des Urtizberea, (Nordine) Ben Ali, Ben Arab, Catherineau, (Henri) Arnaudeau, Szego ou Cammarata, notamment, il enfile les buts et contribue à ce que l’attaque bordelaise soit l’une des plus redoutables de France ! En décembre 1939, face au Toulouse F.C., il inscrit un… quadruplé (1ère journée, Zone Sud-Ouest/2-4) ! Urtizberea, quasi trentenaire et gâchette émérite et prolifique des Marine et Blanc depuis longtemps, a de la concurrence ! Le pari tenté par le club s’avère payant… Le bel hidalgo, dont la noblesse de jeu ravit les amateurs, ridiculise avec respect ses adversaires. Une posture, doublée d’un charme certain, qui plaît aussi à la gent féminine… C’est la classe internationale pour ce coéquipier qualifié de « bon camarade », très apprécié. Humainement parlant, il n’y a rien à redire. Charismatique et efficace il est, à titre de comparaison, traité comme une vedette de cinéma ou de la chanson, en dépit des aléas de la compétition, consécutifs à un conflit qui s’enlise dans la terreur civile, militaire et donc, sportive (championnats tronqués ou carrément stoppés, règlements modifiés en cours de route, mutations de joueurs, titularisation par la force des choses de joueurs n’ayant pas nécessairement le niveau requis, bras de fer avec la Fédération : du grand n’importe quoi !). Mais son rendement personnel n’en que très peu impacté ; mieux encore, durant la saison 1940-1941 et en Zone Occupée, les Aquitains, qui évoluent désormais sous l’appellation « Girondins Association Sportive du Port de Bordeaux », montrent qu’ils en ont sous la chaussure. Pour preuve, les succès acquis lors de chaque finale disputée en Coupe de France, jusqu’à soulever le Graal, au Stade de Paris (appelé aussi par la suite stade « Bauer »), à Saint-Ouen, pour la première fois de leur jeune histoire. Ce, après avoir battu le S.C. Fives (2-0/Doublé d’Urtizberea), l’une des plus redoutables formations du pays. Au prix, aussi, de trois finales interzones… Car l’escouade de Díaz a déjà vaincu le Red Star Olympique (1-3) et le Toulouse F.C. (1-3) dans la capitale, pour l’obtention du premier « gros » titre du club, dans la catégorie professionnelle. Bordeaux confirme ses promesses et assure ainsi définitivement sa notoriété au niveau national, et au-delà. Mais tout cela, c’est… sans Mateo (et sans les emblématiques René Gallice, militaire, ou Roger Catherineau, fait prisonnier, entre autres) ! Parce que le sort en a décidé autrement, quelques mois plus tôt…