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Paco Mateo, aussi esthétique qu'efficace
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Mateo, star planétaire

Et si c’était lui, le plus grand joueur de tous les temps à être passé par les Girondins de Bordeaux ? Certes, il y en a eu de très grands et, bien évidemment, Alain Giresse reste la référence absolue en la matière, ce qui semble ne souffrir d’aucune contestation possible. Mais la question mérite d’être posée et la réflexion nourrie… Car même si tout cela est au final assez subjectif, Francisco Mateo Vilches était à son époque une véritable star, que l’on pourrait aujourd’hui qualifier de « planétaire ». Ou un « top player », que les Marine et Blanc ont eu la chance d’accueillir, même si l’inverse est tout aussi vrai. « Paco » n’a cependant pas eu celle d’être réellement considéré comme tel très longtemps, la faute à un concours de circonstances qui, définitivement, agrémente la légende…

Il pleut des buts !

Né en 1917 à Algésiras, l’avant-centre a porté durant six saisons les couleurs bordelaises. Ainsi, de 1939 à 1944 il a pu, en dépit de très graves blessures, démontrer toute l’étendue de son talent. Car cet attaquant, qui manie le cuir comme peu d’éléments savent le faire, est arrivé « par accident » dans le port de la Lune. Méconnu ici, ce joueur à la classe et l’efficacité insolentes l’est de l’autre côté des Pyrénées, tout comme son jeune frère, Andrés, que les données actuelles et documents disponibles sur le sujet, confondent régulièrement… Mais à l’époque, « Paco » est identifié comme joueur en devenir, et le spectre d’une magnifique carrière brille sous le soleil d’Andalousie. C’est dans la province de Cadix, à l’Algeciras C.F. qu’il a fait ses classes de footballeur, avant de migrer au milieu des années 1930 au Maroc (qui est sous protectorat espagnol), au Club Atlético Tetuán. Là, ses qualités hors-normes éclatent concrètement à la face du monde. Mateo inflige châtiment sur châtiment aux infortunés gardiens de but qui se dressent sur son passage ; non loin du désert, il pleut des buts ! Ses prestations de haut vol attirent les observateurs puis, indubitablement, les recruteurs. Le Valence C.F.1 et le F.C. Barcelone, principalement. Le club catalan enrôle le prodige en 1938 et, à 21 ans, ce dernier va montrer que la pioche est bonne ! Le phénomène, entre le 27 mars et le 28 août, inscrit 53 buts en 14 rencontres ! Avec un championnat de Catalogne (créé avant même la Liga) en poche ! La performance et le rendement de ce garçon, si on les remet en perspective avec ce qui existe au XXIe siècle, sont proches de celles réalisées par les multiples Ballon d’Or que sont Lionel Messi et Cristiano Ronaldo… Le problème, c’est que l’embellie est de courte durée, en raison de la guerre civile qui fait rage dans son pays, depuis 1936. Sa destinée sportive est de fait considérablement modifiée, et c’en est une plus politique qui va le mettre sur le chemin menant à l’Aquitaine…

Recruté dans un camp

Bien malgré lui, celui auquel l’on prête des convictions républicaines fuit le franquisme et la répression, et se trouve contraint à un inéluctable exil. Ça chauffe sérieusement pour tous ceux qui ont défié ou contesté le pouvoir. Et quand le statut de star naissante ne peut conférer de possibilité d’immunité, c’est une fatalité plus complaisante (d’un point de vue sportif) qui va le faire s’établir dans les Basses Pyrénées (actuellement Pyrénées Atlantiques), près d’Oloron-Sainte-Marie. Dans le camp de Gurs, plus exactement, qui n’est autre qu’un camp d’internement construit au cours du premier semestre 1939, par le gouvernement Daladier… Un lieu dans lequel il est alors prévu de concentrer – puis de parquer – les personnes fuyant le régime totalitaire du Caudillo ; soit, au départ et en majorité, les Républicains espagnols et les Brigades internationales. Avant que cela ne s’étende à d’autres catégories et types de populations, dans une Europe où les nazis ont déjà expérimenté le macabre concept… Francisco Mateo, qui n’a pas perdu ses aptitudes de footballeur dans ce voyage improvisé, parvient à en faire la démonstration dans des semblants de cours intérieures jouxtant les baraquements, muées en terrains de foot. Sa présence à environ 250 kilomètres de Bordeaux, ne passe pas inaperçue, surtout pour Benito Díaz Iraola, un compatriote notoire, qui est l’entraîneur des Marine et Blanc depuis 1936, et un départ forcé du Pays Basque. Averti et fin limier, celui-ci, qui compte déjà des Espagnols (et d’autres nationalités) dans ses effectifs depuis son arrivée, s’est renseigné sur les conditions de transit ou de rétention – c’est selon –, des expatriés. Les Girondins sont une entité récente, puisqu’officiellement créée en 1936, et ne bénéficient du statut professionnel que depuis 1937. Mais ce club, déjà titré champion de France Amateurs au terme de sa première année d’existence, nourrit des ambitions pour son futur immédiat. Celles de bien jouer au ballon, de gagner des trophées – ce qui est donc déjà le cas – et d’agrémenter pour cela son collectif de joueurs de qualité... Jaime Mancisidor Lasa (défenseur), Santiago Urtizberea (attaquant), Enrique Soladrero Arbide (milieu de terrain), André Gérard (gardien de but), Saïd Ben Arab, Mahmoud Laïd, Roger Catherineau, René Rebibo, Ferenc (Szukics) Szego (demis et attaquants), pour les plus connus d’entre-eux, sont déjà présents dans le groupe. Mais Díaz, surnommé le « sorcier basque », pour sa capacité à transformer en or les choses banales, alerté par le défenseur défensif Salvador Artigas Sahún – pilote de chasse de l’armée républicaine et joueur du F.C. Barcelone – de leur présence à Gurs, jette un œil attentif sur ces footballeurs venus de « chez lui », qui garnissent les rangs des réfugiés. Et, en plus de « recruter » José Arana Goróstegui (défenseur, qui a également évolué au Barça), Tomás Regueiro Pagola (attaquant du Real Madrid), sur les conseils d’Artigas, qui l’avait remarqué lors de rencontres « inter-baraquements », il ramène avec lui Mateo ! Pour ce qui va s’avérer être un véritable coup de maître ! « Paco Mateo était un super joueur. Je l’avais fait sortir d’un camp de prisonniers pour qu’il jouât à Bordeaux », indiquait le technicien au journal Sud Ouest, en 1981. Le « marché » effectué, Díaz peut désormais s’appuyer sur une nouvelle ossature d’équipe compétitive.